Sara est une jeune femme qui vit en Sardaigne et est une cuisinière accomplie. Elle cuisinait pour toute la famille, avec la plus grande appréciation de ses parents et de ses frères. Elle cuisinait mais mangeait rarement avec eux à table et ne s’est jamais sentie capable de faire de son talent un travail. Pendant l’été, elle travaille comme serveuse et, étant donné qu’en hiver en Sardaigne elle est au chômage, elle décide à contrecœur de suivre son frère Matteo pour aller sur le “continent”, près de Rome.

Matteo est également serveur dans un restaurant renommé des Castelli Romani et pourra initialement héberger Sara chez lui. Les deux ne se sont jamais très bien entendus et, après moins d’un an, Sara décide de quitter Matteo pour chercher “fortune” ailleurs.

Un client du restaurant parle à Sara de la Côte d’Azur : la mer, la nature, de beaux endroits et beaucoup de travail pour une personne comme elle, sérieuse et précise. Sara a réussi à économiser un peu d’argent et décide de se lancer. Elle s’installe à Cannes, trouvant d’abord un logement en colocation. Elle commence comme serveuse dans un petit restaurant français, et le propriétaire décèle en elle la passion pour le travail et le sérieux. Sara travaille énormément parce qu’elle veut montrer aux autres (et surtout à elle-même) qu’elle vaut quelque chose et qu’elle est une bonne personne.

Elle aime beaucoup la Côte d’Azur et la mer qui lui rappelle un peu sa Sardaigne. Elle achète un scooter et en profite dès qu’elle a du temps pour faire des tours dans les villages voisins et le long de la côte.

Elle a toujours été une solitaire, elle n’a pas beaucoup d’intérêts à part le travail. Elle suit juste un cours de français de base mais évite les occasions de rencontrer les autres élèves.

Sa principale préoccupation est de retourner en Sardaigne chez elle, dès que possible. Elle se rend compte que cela devient parfois une obsession, vérifiant continuellement les sites pour les vols à bas prix et essayant de “rassembler des jours” pour rentrer chez elle.

Sara a de moins en moins d’appétit, elle cesse de cuisiner pour elle-même, achète des plats préparés, mange debout ou devant la télévision et continue à perdre du poids. Elle n’a jamais faim, se retrouve rapidement en sous-poids et n’a plus de règles. Évidemment, les effets se voient également au travail, parfois elle arrive en retard et est distraite. Son patron, bien qu’affectueusement, la réprimande et est sincèrement inquiet pour elle.

Elle essaie l’acupuncture pour l’appétit, fait quelques séances chez un bon médecin qui lui fait comprendre que quelque chose de plus profond la tourmente. Sara ne croit pas en la “psychologie”, selon elle, si quelqu’un va mal, il doit faire des examens, puis avoir un diagnostic et prendre le bon médicament ! Simple et linéaire…

Le médecin acupuncteur comprend bien comment “fonctionne” sa patiente, Sara ne veut pas se poser des questions inconfortables pour comprendre comment sortir de son malaise.

Après le cycle de séances d’acupuncture, Sara est “forcée” par le médecin de consulter un psychologue. Nous nous rencontrons une première fois, puis une deuxième et ainsi de suite. Le fait de parler en italien nous sauve, jamais elle ne serait allée voir un psychologue français. Je dois dire que petit à petit, une sympathie réciproque s’est créée, elle m’a fait mourir de rire en me racontant la préparation détaillée du “porceddu”, plat traditionnel sarde accompagné (évidemment) de vin Cannonau, qu’elle prépare divinement ! Le récit des fortes traditions alimentaires sardes m’a convaincu que le profond malaise de Sara était lié à la nostalgie de sa terre. Une nostalgie pour elle jamais apaisée et maintenant devenue déchirante.

Sara “fonctionne” psychologiquement sur le sens du devoir, de la responsabilité et du sacrifice. C’est une belle fille mais elle n’achète rien pour elle, ne se maquille pas, n’a ni loisirs ni passions. Elle est consciente que maintenant la nourriture, ou plutôt la privation de nourriture, est la seule chose qui l’intéresse vraiment mais c’est aussi son tourment et sa dépendance.

Sara vient toujours en séance ponctuelle et collaborative mais j’ai l’impression que très peu de choses bougent psychologiquement en elle. Elle est de plus en plus maigre et fatiguée, et moi aussi j’ai peur qu’elle ne s’effondre sans force d’un moment à l’autre. Je décide de la prendre à contre-pied avec le thème de la nostalgie de sa terre. Il ne lui est tout simplement pas possible de vivre loin de la Sardaigne, pour elle c’est insoutenable et cela pourrait même la mener à la mort !

J’admets avoir été directif et je lui ai “imposé” de demander un arrêt maladie et de retourner chez elle en Sardaigne pour un moment. De plus, elle a la “mission” de chercher du travail sur son île, puis éventuellement de réaliser son désir d’avoir une petite entreprise à elle. Ce désir est toujours resté caché en elle, convaincue de ne pas être capable de faire quelque chose de bon toute seule.

Sara, revenue sur sa terre, reprend lentement à manger (miraculeusement, comme elle dit…) et décide de quitter son travail à Cannes. Elle reprend un peu de force et prend contact pour trouver du travail toujours comme serveuse. Son cousin Lino lui donne une idée, pourquoi ne pas louer un petit espace dans son village au bord de la mer et proposer de la “street food”. Sara est effrayée et nous en parlons longuement via Skype, mais comme elle dit “…On ne revient pas en arrière…”. En peu de temps, Sara ouvre un petit local où elle prépare et frit des seadas, un dessert typique de la tradition sarde, parfait comme “street food” pour les touristes et les vacanciers du village.

Sara prend du poids, elle fait toujours attention à ce qu’elle mange mais elle est épanouie et est forcée par son travail de se lier avec beaucoup de gens, en forçant sa réticence naturelle.

En résumé : Sara est maintenant contente de son choix, elle travaille intensément et a repris à s’occuper d’elle-même et se permet de petites gratifications. Avoir repris du poids signifie qu’elle doit de nouveau faire face à sa féminité. Elle est attirèe par un garçon mais ne se sent pas encore prête pour une relation, elle me dit : “…Laissons le temps au temps, je ne veux pas me précipiter mais me sentir bien avec moi-même, on verra après…”.

Bonne chance, Sara…

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